Des limites du féminisme sous pression…

J'ai dit dans ma lettre de démission un petit mot sur le peu de soutien que j'ai eu à l'intérieur de la FA par la commission femmes, elle-même déjà bien mal en point par ailleurs, et de plus divisée en interne. Je n'ai pas tout dit à l'époque…

Peu après notre exclusion de l'union locale Lyon de la FA, De. et Al. ont participé à créer, avec des sympathisantes FA notamment, une sorte de commission femmes non mixte, mais externe à la FA, puisqu'en interne nous avions échoué.
Ce groupe s'est appelé " femmes libres ", un nom pas neutre pour qui connaît l'histoire de cette organisation en 1936-1939 ! Un nom classe !
Mais, contrairement à cette organisation détruite par le franquisme, " femmes libres " Lyon ne fut pas ouverte à toutes.
En effet, c'est par des HOMMES adhérents de la FA Lyon (et ayant donc voté pour mon exclusion) que j'ai appris la création de ce groupement.
Lors de la commission femmes fédérale FA suivante, Al. présente ce groupement à toutes. Je demande alors quelles sont les modalités d'adhésion…il m'est répondu qu'il y a " des oppositions " à mon adhésion, car certaines dans le groupe me trouvent " agressive ", et ce n'est pas l'image qu'elles veulent donner de femmes libres…
J'imagine bien…
Je me souviens d'un car montant sur Paris pour une manifestation, affrété par les anars, à cette époque, où personne de la FA n'a discuté avec moi, bien sûr, mais où j'étais aussi " persona non grata " pour les féministes avec qui j'avais monté une commission femmes FA quelques mois plus tôt, ainsi que pour les sympathisante FA avec elles dans ce car…aucune ne m'adressant la parole. Cette mise à l'écart, par tous, et aussi…par toutes…était au-delà du soutenable, et pourtant j'y ai survécu. Durant plusieurs années, ce fut le mot exact : survécu…
Alors il est vrai que quand on me parle de " sororité ", maintenant encore, à tort ou à raison, je ris jaune (" sororité " est un mot qui est formé sur le modèle de " fraternité ", mais fraternité vient de " frère ", sororité vient de " sœur ", donc la sororité, c'est la " solidarité entre sœurs " par opposition à l'état traditionnel de division entre femmes pour être dans les bonnes grâces de l'homme).
Parfois, dans le monde du travail, les victimes de harcèlement moral répondent par l'agressivité. Et, parfois aussi, "on" se sert ensuite de ce motif pour les disqualifier, les exclure encore plus. Pourquoi cela aurait-il été différent dans le monde militant, après tout ?
Une violence, une pression psychologique extrême, comme celle qui a perduré plusieurs années après mon exclusion de l'UL FA Lyon, a en fait de quoi rendre tout espoir de sororité illusoire, c'est mon analyse en conclusion de cette amère aventure. L'exemple de " femmes libres ", créé dans ce climat de violence, de pressions, par des membres et sympathisantes de la FA Lyon, est frappant : pouvaient-elles faire le choix de m'intégrer et de survivre avec une image dégradée construite par la FA, qui avait beau jeu de montrer mon " agressivité " du doigt ?
" Femmes libres " a fait le choix de ne pas m'intégrer, par souci de son image, pour ne pas faire fuir les sympathisantes FA qui étaient ses espoirs majeurs de " recrutement ". Sympathisantes sous pression, elles aussi, forcément.
Et femmes libres n'a pas survécu très longtemps pour autant…simple constat, mon " sacrifice ", mon " lâchage " n'aura finalement servi à rien. A rien qu'à me casser et me dégoûter un peu plus.
Mais, point positif bien qu'amer, cela m'a rendue critique aussi vis à vis des mouvements féministes, auxquels j'adhère néanmoins toujours aujourd'hui. Avec esprit critique, oui, j'insiste…
Notamment, les réactions à la mise sous pression par des organisations politiques encore empreintes d'idéologie machiste, peuvent être désastreuses, ce qui m'est arrivé en est une preuve.
Et je ne remercie pas les "copines" lyonnaises de ce lâchage, bien sûr, c'est le moins que je puisse dire...

De mon côté, ce ne sont donc pas les mouvements féministes dont j'étais proches qui ont pu m'aider à me redresser sur un plan personnel, et à retrouver une place dans le monde militant lyonnais, tant j'étais devenue encombrante, lépreuse.
Sur ces deux plans, c'est le mouvement des chômeurs/euses de 1998, avec tous ses gros défauts, qui m'a permis cela.
Je dois à des chômeurs/euses, dont beaucoup machos, voire violents et alcoolisés, d'avoir pu reprendre pied et sur un plan personnel, et sur un plan militant.
Je n'oublierai jamais les galères, mais aussi les rigolades, partagées alors, et le sentiment, aussi, d'être enfin investie dans une lutte qui ME concernait en tant que personne vivant dans une extrême précarité. Chose que j'avais déjà, un peu, vécue via le féminisme, lutte qui ME concernait en tant que femme.
Le mouvement des sans papier/e/s a achevé de m'aider à reprendre pied sur un plan personnel, et à me reconstruire une place (meilleure que l'ancienne…) dans le monde militant lyonnais.
Enfin, la CGT est devenue aussi pour moi, un lieu important de convivialité militante, où la camaraderie, pendant mixte de la sororité, n'était pas qu'un mot sur un papier.
Plus particulièrement, je dois à ce syndicat (" réformiste ", etc, si vous voulez), mon rétablissement par rapport à la peur que m'avaient inculqué les anars. Peur de ne pas être assez d'accord avec le leader (eh oui), peur d'être exclue du groupe pour cela. Peur de penser librement…peur d'être rejetée par tou/te/s, même les autres exclu/e/s…
Le réel pluralisme qui existe dans une telle organisation de grande taille (malgré tous les problèmes existants aussi, mais pas plus développés que chez les anars), et aussi une humanité chaleureuse rencontrée pour la première fois à mon égard chez des militant/e/s, m'ont permis, peu à peu, d'avoir moins peur d'exprimer mes opinions à moi sans passer par quelqu'un d'autre pour prendre le "risque" de porter ma parole…
Bien sûr, le machisme existe aussi dans cette organisation, mais les formes en sont différentes, et plus proche du niveau existant dans l'ensemble de la population.
Il me semble, en effet, que le milieu militant d'extrême gauche (dans lequel j'inclus les anars, pour faire vite) est plus machiste que l'ensemble de la population…et il faut bien que quelqu'un le dise, alors autant que ce soit moi. Et puis ce n'est que mon opinion, toute subjective sans doute.
Néanmoins, c'est dans la durée que je (re)découvre aussi les limites et gros défauts de cette structure qu'est la CGT. Trop de "dialogue social", "syndicalisme responsable", etc, etc, me semblent nuire à la cause défendue. Et bien sûr tous les problèmes déjà cités (de manière un peu rapide et peu approfondie, et parfois caricaturale dans l'analyse) dans ma lettre de démission datée de 2001 que vous venez de lire, subsistent voire s'accentuent, dans un contexte délétère comme celui de ces années 2000.
Enfin, je ne cherche pas à vendre des cartes pour la CGT. Simplement à dire que c'est ici que j'ai pu, moi, trouver une reconnaissance de ma valeur militante, et une place qui me permet d'agir d'une manière concrète. C'aurait pu être SUD, ou la CNT, ou un autre syndicat, quelle que soit l'étiquette, la "chapelle", on contribue comme on peut, chacun/e, à aller dans le sens qui nous semble être le meilleur pour construire une société autre. On expérimente, on tâtonne, dans cette époque d'incertitude suite aux bilans d'échec du socialisme réformiste et des tentatives de révolutions sociales du 20e siècle. Je ne suis pas devenue anti-révolutionnaire, simplement, je constate que les révolutions achoppent toujours sur le problème de la guerre, de la violence, et le réformisme, sur celui des conséquences très bien décrites et critiquées par les anars, de la détention du pouvoir qui éloigne de celles et ceux qu'on est censé/e/s représenter et défendre. Alors je ne sais pas comment pourra se faire le changement de société dont je partage l'envie, mais je continuerai à faire ce qui me semble pertinent pour y apporter ma pierre, à la mesure de mes possibilités.

Quelques dernières précisions autour de cette lettre, et du processus qu'elle décrit :

Les anars sont plutôt " contre la famille ", classique du moins. Pourtant, il est commun de constater combien les anars forment eux/elles-même une sorte de grande famille : dans le " milieu " militant anar, remplacement fréquent du nom de famille de la personne, qui reste inconnu, par le nom du groupe auquel elle participe : " machin du groupe Kronstadt ", " truc du groupe Durrutti ". Une forme européenne de totémisme simplifié ?
Nous avons aussi, dans des textes anars, des expressions comme " nos arrières grands parents ", parlant du mouvement libertaire. Pourtant, mon arrière grand-mère n'était pas anarchiste ! Ainsi, une sorte de famille mythique semble se constituer, où les " arrière grands parents " des anars étaient eux/elles aussi anar…
Après cela, c'est moi qui me suis vue plus ou moins reprocher de chercher " une famille " dans le militantisme anar…ce fait n'est pas inexact me concernant, tant il est vrai que la "famille" anar était moins violente que la mienne, malgré tout, et donc plus attirante !
Mais ce fait doit être également mis en relation avec les "coutumes" du monde libertaire, un peu soulignées juste au-dessus.

Au chapitre de la mesquinerie, il convient de noter particulièrement la méthode qui consiste à exclure, sur trois personnes constituant la commission femmes de Lyon, deux d'entre elles seulement. L'avantage premier est que personne ne peut alors dire " vous avez exclu les féministes, vous vouliez détruire la commission femmes ", puisque, non regardez, on en a gardé une qui ELLE est une bonne féministe (et en plus, la première à avoir voulu fonder cette commission, donc la plus " radicale ", quelque part). Le second avantage est l'impossibilité concrète, justement, de refonder une telle commission en partant d'autres femmes membres de la FA Lyon, car le message reste clair : quiconque s'y recolle, risque la porte et surtout la mise au ban qui va avec. Alors, baignant dans ce système terroriste, qui oserait retenter le coup ?
De plus, les méthodes utilisées pour mettre au ban et pousser vers la sortie, ont beaucoup à voir avec celles, relatées par M.F. Hirigoyen (1998), de harcèlement moral. Oui, cela existe aussi dans le monde militant, et même dans l'univers "libertaire"… d'ailleurs, c'est suite à la lecture de l'ouvrage de M.F. Hirigoyen, que j'ai pu commencer à comprendre puis écrire ce que j'avais vécu.
Finalement, la FA, c'est un peu comme être fonctionnaire : l'on est invirable au niveau fédéral (il faut l'unanimité du congrès pour être exclu/e), donc après avoir été exclu/e au niveau local, la seule "solution" pour vous mettre dehors est de vous pousser à la démission. Et, comme si vous étiez fonctionnaire face à un chef ou une direction décidée à vous pousser dehors, "tous les moyens sont bons" pour que vous preniez de vous-même la direction suggérée…

Dans ce contexte, les " torts partagés " dans la responsabilité du processus ayant mené à mon (notre) exclusion, me semblent avec le recul une vaste escroquerie, c'est à dire une manière de voir qui ne tient pas compte des rapports de force…et était celle que m'ont inculqué les adhérent/e/s de l'union locale qui voulaient ma réadhésion, comme un "lavage de cerveau" nécessaire à me faire partager pour que je puisse re-rentrer dans le "moule FA"…heureusement, cela n'a pas suffi !!!!
Vous l'aurez compris, aujourd'hui je place les torts où ils sont. A aucun moment, même mes comportements les plus déplacés, agressifs si l'on veut, ne pouvaient justifier ce que l'on m'a fait subir.

En conclusion, je voudrais parler un peu de ma crise de délire, qui a justifié toutes les réserves à mon égard. Il faudrait ajouter à cette crise les mois qui ont suivi, où je n'ai pu dormir une seule nuit, restant dans un état sommeilleux où les heures passaient aussi lentement qu'à l'état de veille, mon cerveau cherchant à " comprendre " ce qui s'était passé…mais moulinant à vide, perpétuellement, car il n'y avait rien de "compréhensible". Egalement des attaques de paniques et autres "syndromes" qui m'ont bien plombée durant ces mois. Tous avaient pour dénominateur commun : la peur. Oui, ce sont des anars qui m'ont appris la PEUR. A titre de résidu, la peur de donner mon opinion, de m'affirmer, des années après, a subsisté. "Grâce" aux libertaires de la FA de Lyon et à celles et ceux qui les ont laissé faire dans la FA.
"Merci" les libertaires de la FA de Lyon et ceux/celles qui les ont laissé faire…
L'ultime offense, l'ultime injure qu'ils/elles m'ont faite, fut d'exploiter cette fragilité qu'ils/elles avaient eux/elles-même creusée comme un énorme gouffre : une crise de délire, etc, on pourrait dire que c'est la réaction individuelle d'une personne déjà fragile.
Je réponds qu'il est facile d'exploiter les fragilités et les failles d'une personne pour (se) masquer des enjeux…politiques, de pouvoir, pour justifier une mise à l'écart…
Alors, dix ans après la création de la commission femmes de la FA de Lyon, je souhaite toujours " bon vent " à ces militant/e/s.
Surtout, qu'il les emporte loin, très loin de ma vie et aussi de tout moyen d'influencer le sort de la société. L'influence de personnes pareilles, ne peut être que néfaste en pratique, aussi belle soit la théorie.
Que ceux et celles qui ont été les acteurs/trices de mon exclusion, et ne m'ont jamais fait la moindre excuse pour cela, soient assuré/e/s de ma rancune, méritée.

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